Que savez-vous sur vous-même?

par Daniel Gustin, chef-instructeur chez Canadian Flight Trainers (en anglais seulement), une école de formation au sol moderne en ligne qui se consacre à fournir des expériences d’apprentissage positives aux pilotes privés et commerciaux. Daniel a également de l’expérience en tant qu’instructeur d’acrobaties aériennes, de pilote de ligne et d’instructeur sur simulateur

Évaluation modèle
Crédit photo : Daniel Gustin

Évaluation modèle

  • Que faites-vous?
  • Pourquoi le faites-vous?
  • Quelle est son efficacité
  • Comment les élèves réagissent-ils?
  • Comment pouvez-vous l’améliorer?

Le cheminement que suit un pilote professionnel ou de ligne pour devenir instructeur comprend l’augmentation du niveau de compétence, l’approfondissement des connaissances et une formation en apprentissage humain. Pour devenir un instructeur, un changement fondamental doit avoir lieu sur le plan des schèmes de pensée pour surpasser les connaissances et la simple exécution d’une tâche donnée. Quand l’instructeur assume ses fonctions, on s’attend à ce qu’il amène ses élèves à piloter un aéronef d’une manière souhaitée et à ce qu’il puisse la justifier. Ainsi, l’instructeur de vol répond constamment à une question fondamentale : « pourquoi? » Les réponses aux questions des élèves ne sont pas toujours aussi simples qu’espérées. Il se peut que l’instructeur doive justifier pourquoi l’élève devrait surveiller ses environs avant d’amorcer un virage ou encore pourquoi le pilote qui assure la surveillance devrait demander au pilote aux commandes de fermer la page d’état à bord d’un Airbus. Dans ce processus de raisonnement, l’instructeur de vol doit parfois se livrer à une autoréflexion concernant sa propre formation pour justifier comment il pilote lui-même un aéronef. Cette autoréflexion et cette analyse semblent ouvrir la porte sur une nouvelle façon de penser pour plusieurs instructeurs de l’industrie. Grâce à la formation d’instructeur, certains pilotes ont constaté que des techniques de vol qu’ils avaient apprises pourraient ne pas convenir dans certains scénarios ou pourraient leur avoir été enseignées incorrectement. L’autoréflexion permet aux instructeurs de façonner la manière dont ils pilotent un aéronef et, en conséquence, leur façon d’enseigner aux futurs élèves.

L’autoréflexion, dans le domaine de l’éducation, ne date pas d’hier; plusieurs études soulignent les nombreux avantages de l’autoréflexion pour les instructeurs et les élèves. La pratique de réflexion moderne remonte à 1910, suivant les travaux de John Dewey. Depuis, elle a été perfectionnée par des spécialistes de diverses disciplines. Michael Potter (2015) définit cette pratique comme une activité consistant à se remémorer, à raisonner et à critiquer ses expériences, ses croyances, ses valeurs et ses pratiques afin de les évaluer et de les améliorer. Une réflexion critique va au-delà d’un simple examen des connaissances et des expériences acquises. Pour moi, avoir un esprit critique est un processus transformatif qui entraîne la modification d’un comportement après avoir remis en question et contextualisé le passé. Supposons deux pilotes de ligne, Gabby et Patricia, chacune riche d’une expérience de 10 ans. Gabby a 10 ans d’expérience alors que Patricia a une année d’expérience répétée 10 fois. Gabby a appris de ses erreurs et est devenue une meilleure pilote alors que Patricia a refait la même chose année après année.

L’autoréflexion critique nous permet de donner plus de sens à nos actions, de combler l’écart entre les connaissances et les compétences, de cerner le moment où une nouvelle approche pourrait être nécessaire, de briser nos mauvaises habitudes et d’établir un lien de confiance avec nos élèves. Les élèves ont la possibilité d’apprendre plus vite et mieux lorsqu’ils se livrent à une autoréflexion critique et pourraient être mieux préparés pour faire face à des scénarios complexes futurs. Cette pratique présente un grand avantage, celui d’être enseignée par les instructeurs, apprise par les élèves et utilisée par tout pilote (y compris les directeurs des exploitants aériens). Vous vous demandez peut-être comment faire pour vous livrer à l’autoréflexion critique.

Pour commencer, vous devez faire preuve d’un certain niveau de vulnérabilité, d’honnêteté et de conscience de soi. En tant qu’instructeur, commencez par vous poser certaines des questions suivantes :

  • Savez-vous quel est l’objectif de votre rôle?
  • Quel type d’instructeur de vol êtes-vous?
  • Enseignez-vous à vos élèves à réussir un essai en vol ou voulez-vous leur apprendre des connaissances pertinentes qui, selon vous, les aideront une fois qu’ils auront obtenu une licence ou une qualification?
  • Qu’est-ce qui vous rend mal à l’aise, en tant qu’instructeur de vol, et comment pouvez-vous répondre à ces préoccupations?
  • Si le chef pilote ou le chef-instructeur de vol remettait en question l’une de vos méthodes, comment la justifieriez-vous?

Une fois que vous comprenez qui vous êtes en tant qu’instructeur de vol et quelles sont vos croyances, c’est le temps de solliciter une rétroaction de vos élèves et de vos pairs. Vous pourriez choisir de demander à vos élèves ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas dans leur cas, ou encore inviter un autre instructeur à critiquer votre exposé avant vol.

En tant qu’instructeur de vol, vous pouvez mettre en œuvre cette pratique avec vos élèves de différentes façons. Mais avant de le faire, il est à noter que l’élève doit vous faire confiance. En tant qu’élève, c’est une chose d’être vulnérable avec soi-même, mais toute autre chose de l’être avec son instructeur. Vous devez respecter votre élève et le protéger contre tout tort quand il se livre à cette pratique. Si l’étudiant ressent de la peur ou de l’hésitation lors de l’autoréflexion, il pourrait en faire une mauvaise utilisation; par conséquent, cette activité serait peu fiable ou inutile. La confiance est un élément sacré dans votre relation avec vos élèves, n’en abusez pas.

Une des activités les plus courantes que j’ai constatée chez les élèves est la tenue d’un journal. L’élève peut le faire dans son dossier de formation de pilote ou dans un cahier de comptes rendus distinct. Si l’élève utilise un journal d’apprentissage, je suggère aux instructeurs de vol de fournir des exemples pour montrer ce qui, selon eux, est une inscription de journal adéquate. Vous pouvez aussi encourager les élèves à discuter avec des gens autour de l’aéroport et de l’immeuble du simulateur. Ce type de discussions informelles permet aux élèves d’interagir avec leurs pairs, d’apprendre des expériences des autres, et d’adapter ces expériences à leur propre vie. Enfin, ma méthode la plus importante consiste à donner une rétroaction constructive à l’élève. En tant qu’instructeurs de vol, nous avons la responsabilité de faciliter l’apprentissage des élèves afin qu’ils puissent prendre des décisions judicieuses et appropriées quand ils ne seront plus sous notre aile. Il suffit de les aider à cerner leurs forces et leurs faiblesses d’une manière positive.

Pour conclure, j’aimerais vous faire part d’une anecdote d’un collègue qui a récemment réussi son contrôle de la compétence de pilote (CCP). Lors du compte rendu, l’examinateur a demandé à mon collègue pourquoi il pilotait l’aéronef d’une manière particulièrement « inappropriée » pendant l’approche au radiophare d’alignement de piste, bien que l’approche ait été sécuritaire et digne d’une cote « 3 ». Il a répondu « C’est comme ça que Espace vide_____ me l’a appris ». L’examinateur a expliqué que les connaissances de l’instructeur étaient légèrement désuètes par rapport aux normes actuelles et que les deux pilotes auraient dû remettre en question ses méthodes. Il s’agit d’un scénario injuste, mais courant, dans le secteur de l’aviation canadien, et ce à tous les niveaux de l’industrie. Dans ce contexte, qui aurait pu se livrer à une autoréflexion et qui en aurait bénéficié? Avant de répondre, demandez-vous si vous pourriez faire fausse route. Tentez d’en apprendre davantage sur vous-même en vous penchant sur la façon dont vous réfléchissez.

Références

Potter, M. K., avec la collaboration d’E. Kustra, N. Baker, L. Stolarchuk, et P. Boulos. (2014). Course Design for Constructive Alignment: Course Primer (Édition de l’hiver 2014). Windsor (Ontario).